L’après-doc ?

Vingt ans après

Un bilan de vingt années de mutations permanentes
vendredi 14 avril 2006.
 

VINGT ANS APRÈS...

C’était il y a vingt ans. Voilà un bel anniversaire. C’était la parution de LA circulaire, n° 86-123 du 13 mars 1986 : Missions des personnels exerçant dans les centres de documentation et d’information. Voilà vingt ans, on ne parlait pas encore de professeur-documentaliste, mais de documentaliste-bibliothécaire. Et dans vingt ans, de qui parlera-t-on ? En deux décennies, il s’est passé tant de mutations qu’à ce rythme-là notre jeune corps de certifiés de documentation pourrait devenir une structure vidée de ses forces vives. Vingt ans, l’âge des espérances, des volontés, et des déceptions.

TENSIONS

Vingt ans à se remettre en question, à vouloir vivre nos missions avec des moyens de plus en plus fuyants. Le recrutement des certifiés ne suffit plus à renouveler les départs en retraite. On s’oriente de plus en plus vers des emplois précaires occupés par des personnels non formés et sous-rémunérés. Et même en terme de dotation horaire globale, les établissements pourraient avoir à trancher eux-mêmes : l’académie de Paris semblerait vouloir intégrer les heures des documentalistes dans cette dotation à hauteur de 18 heures par poste . L’État se désengage en se défaussant de sa responsabilité de décideur sur les chefs d’établissements, qui auraient ainsi la possibilité de réduire ou d’augmenter les horaires des documentalistes en synchronisant leurs moyens avec ceux des autres disciplines. Simple ballon d’essai ? En vingt ans, nos missions ont littéralement explosé. La première de toute, qui fonda la création du Capes, est d’ordre pédagogique. À ce titre nous avons à nous assurer comme tout enseignant de l’appropriation des savoirs par l’élève. Et dans notre spécialité, il revient donc à dire que l’information trouvée par l’élève doit se transformer en connaissance. C’était bien là une originalité : un enseignant de discipline agit comme documentaliste dans sa seule spécialité pour organiser et restituer son enseignement. Or, la documentation est un travail qui revient à discipliner l’information en tant que telle : l’information est maintenant devenue un savoir à part entière. Sauf que l’accès à l’information d’il y a vingt ans n’était pas tout à fait le même : Internet est passé par là. Son immensité vertigineuse, nous devons maintenant la gérer non plus seulement pour sa qualité, mais pour sa quantité.

L’Internet en est encore à l’âge de Bouvard et Pécuchet dont l’ambition était de copier toutes les connaissances. Nous disposons maintenant d’une immense masse d’informations de toutes sortes et c’est tout à fait valable. C’est merveilleux de pouvoir y accéder, mais la question est : "Comment pouvons-nous transformer ces informations en savoir et en sagesse au service de nos propres desseins ? Comment pouvons-nous développer notre propre sagesse ?" L’Internet n’offre aucune sagesse. In Text-e : le texte à l’heure de l’Internet. Sous la direction de Gloria Origgi et Noga Arikha.

Face à la surabondance de l’information, l’analyse documentaire devient de plus en plus importante. Et sa qualité passe une importante variété des sources documentaires et des supports qui la véhiculent.

Nos moyens s’éparpillent : le CDI est devenu une seconde intention dans la démarche de recherche, après le passage par Internet . Le lieu CDI a changé : il est bien souvent inadapté à la demande des usagers, car perçu comme limitant la mise à disposition des ressources disponibles. Et nous sommes là dans une rupture de notre image : le territoire CDI.

Ce territoire institutionnel issu des bibliothèques pédagogiques, nombre de professeurs-documentalistes l’ont vécu comme leur domaine. Or, l’espace CDI ne nous appartient pas. Nous en sommes les responsables, les gérants. C’est une situation extrêmement inconfortable, source de conflits quand d’autres acteurs de la communauté éducative veulent exercer leur appropriation du lieu de ressource.

Pour les adultes, il s’agit d’un lieu pédagogique :

Le CDI est un espace collectif dans tous les sens du terme : interdisciplinaire, le CDI concerne tous les acteurs de l’établissement, qu’ils soient élèves, enseignants ou administratifs. D’espace éducatif, le CDI tend à devenir un espace pédagogique, où l’on initie les élèves à la recherche documentaire, à la recherche de l’information ciblée et pertinente, à la navigation dans les savoirs.

Sauf qu’il ne ressemble en rien à la salle de classe, et les rapports qui s’y instituent sont tout à fait spécifiques :

C’est un espace "proposé et non imposé", "radicalement différent d’un salle de classe", où l’on vient par choix, "pas seulement pour travailler".

Quant aux élèves, ils recherchent un accueil autre :

C’est un lieu de "confiance" où l’on accède "sans pudeur et sans crainte", où il n’y pas de jugement, où l’on peut remédier à ses difficultés scolaires, s’initier aux nouvelles technologies (que l’on a pas chez soi) et que l’on n’irait pas utiliser ailleurs, s’adonner à la lecture plaisir.

C’est un lieu un peu extra-territorial qui participe à la socialisation des élèves et permet à des enseignants nouveaux (stagiaires IUFM) ou réservés de s’intégrer.

Et pour le documentaliste ? Lui, sa seconde mission, à ses yeux, c’est de donner aussi le goût de lire. Alors, quel est son avenir s’il confronte ses talents, ses compétences et sa formation à l’attente de son public ?

MUTATIONS PRÉVISIBLES

Par nature, le métier d’enseignant requiert des compétences dont l’évolution doit être constante. Les savoirs et les méthodes restent en veille permanente. Et la grande affaire de notre métier est intimement liée à l’informatique et à Internet.

Les moyens de liaison à haut-débit sont maintenant généralisés, même si des isolements géographiques entravent ça et là le déploiement harmonieux des technologies de pointe. Et le très haut débit se montre déjà à notre horizon.

En parallèle à la mise en œuvre des transports de données, on assiste à un essor des banques de données accessibles via Internet.

Cela se matérialise par l’installation des ENS, Espace Numérique des Savoirs dont le but est de proposer en ligne des portails de ressources dédiées à l’Éducation. On assiste également à la naissance des bibliothèques numériques, dont le projet européen BNUE . Enfin, l’institution, via le projet SCHENE, a mis en route des ressources numériques adaptées à chaque discipline :

Le Schene invite les éditeurs à produire des produits multimédia en fonction d’un cahier des charges défini par l’administration. Il s’agit de "mieux prendre en compte les demandes exprimées par les enseignants et assurer aux éditeurs la visibilité nécessaire pour produire les contenus dont l’Éducation nationale a besoin".

La conjonction de ces moyens est apparue intéressante aux autorités de tutelle (Conseils Généraux) qui ont décidé en certains départements d’équiper les collégiens d’ordinateurs portables. Cette décision lourde de conséquence pourrait ainsi amener à des orientations nouvelles :

® les manuels scolaires : leur coût exorbitant et leur gestion problématique pourraient ainsi se trouver dématérialisés puisque consultables en ligne, avec le bénéfice immédiat d’avoir une mise à jour permanente ; ® l’équipement des établissements en ordinateurs fixes pourrait cesser au profit des équipements personnels.

Quant aux enseignants, et plus spécifiquement les documentalistes, ils se sont déjà préparés de longue date en créant des réseaux collaboratifs. Nous sommes tous en liaison avec des groupes de travail qui échangent en permanence via le courriel , les forums et les sites de mutualisation. Accompagner les pratiques des mises en réseaux en apportant un savoir-faire né du besoin de partager, voilà un enjeu capital : il sera un plus déterminant dans notre insertion au sein de la communauté scolaire .

Pour autant, le traitement de l’information, qui fait toute la valeur de notre travail auprès des usagers en validant des ressources que nous avons su trouver et mettre à disposition, va devenir de plus en plus contraignant eu égard à la masse des données à prendre désormais en compte. On peut toujours « rêver » qu’un référencement automatisé des sources se mette en place, mais il n’existe pas à court ou moyen terme de perspective en la matière. Notre production reste irremplaçable.

SOLUTIONS & PERSPECTIVES

Il serait aberrant de considérer l’apport technologique comme un obstacle à l’accomplissement de nos missions, même si les moyens informatiques se montrent trop souvent capricieux.

Clairement, nous aurons à savoir accompagner les autres enseignants dans la mise à disposition du contenu de leurs cours sur les réseaux internes ou externes.

Par exemple, il est intéressant de pouvoir diffuser aux enseignants des informations glanées via des sites aussi remarquables que le Café Pédagogique, en intranet ou directement par des courriels, (pour peu que l’on ait souscrit dans ce cas à un abonnement annuel), ou le site EPI Net .

Mais il faut aussi savoir accompagner les enseignants désireux de mettre en ligne leurs cours, corrigés ou informations sur le site de l’établissement. Tout cela demande du temps, qui nous est de plus en plus compté, et de la compétence technique, qui ne s’acquiert pas aisément.

Les documentalistes se positionnent à l’articulation des savoirs entre enseignants et élèves, car il va falloir de plus en plus gérer les « connaissances » au sein de l’établissement scolaire. Il s’agira donc de développer chez chacun les compétences nécessaires pour participer à ce partage du savoir.

Le CDI, sanctuarisé par son statut de bibliothèque, va devoir se muer en plate-forme pédagogique et devenir un lieu de gestion collaborative des connaissances.

Tout cela peut sembler effrayant. Mais aussi motivant.

Le point-clé réside dans la personnalité même de chacun :

Le documentaliste est justement situé dans un système de relations complexes avec les élèves, les professeurs, l’équipe éducative, l’administration, mais aussi le médecin, l’assistante sociale, l’infirmière, les autres collègues... La richesse de sa fonction dépend de la potentialité d’espaces de négociation avec les autres acteurs de l’établissement scolaire, et donc d’une certaine façon de l’amplitude de son réseau relationnel.

Certes, le CDI n’est pas notre territoire, certes nous savons aller au devant des membres de la communauté éducative.

Mais il faut mettre en cohésion nos compétences avec les formations dispensées notamment par les IUFM. Les méthodologies liées aux pratiques informatiques sont désormais une réalité du cursus chez les futurs enseignants, via le C2i , certificat visant à donner aux enseignants les compétences nécessaires en informatique et Internet pour concevoir leurs cours et les diffuser à leurs élèves.

Partant de ce postulat, nous avons à mettre en place des outils d’autonomie qui constituent des aides méthodologiques à la recherche documentaire à destination des élèves et des adultes. Cela signifie encore et toujours que l’élève doit apprendre à apprendre, et nous l’y aidons dans ses travaux personnels quand il vient chercher notre appui. Le CDI a été et reste un lieu où se pratique une pédagogie souvent expérimentale, très à l’écoute de l’individu, et donc tournée vers une relation d’aide tout à fait personnalisée .

C’est bien un modus operandi qu’il s’agit d’inventer : proposer, attendre, écouter ; puis aider, fatalement. Nous voici en droit fil d’un concept peu répandu : la générativité .

Pas d’individu sans famille, pas de famille sans société, pas de société sans culture, pas de culture sans civilisation. Et pas de civilisation sans individu [...] La générativité est une forme d’amour élargi à la progéniture, aux descendants au sens large, bref à la suite du monde ; elle mène à la sollicitude. Se soucier des générations futures est un des enjeux majeurs de développement au mitan de la vie .

L’approche ainsi centrée restera un atout considérable dans la relation pédagogique tant elle peut être satisfaisante pour un élève bien souvent égaré par tous les repères que lui donnent ses professeurs dans le cadre de la classe. Et l’enseignant documentaliste, dans son rôle de médiateur d’accès à l’information, se place en première ressource de la situation d’apprentissage quand il s’agit pour l’élève de mettre en œuvre des pratiques acquises lors des enseignements disciplinaires. Ce sont encore et toujours les compétences transversales qui s’expérimentent dès la mise en autonomie de l’élève dans ses travaux de recherche. Le CDI est dans ce sens vécu avant tout comme un lieu de médiation, de socialisation avec un côté relationnel très important : il permet une certaine individualisation des rapports et donc un rapport beaucoup moins indifférencié que celui qui existe dans une classe. Le rapport de l’élève au CDI n’est pas un rapport au savoir, il est un rapport à la connaissance, c’est-à-dire qu’il met en œuvre une dynamique d’appropriation et de cheminement cognitif. Autrement dit l’élève n’est pas placé au CDI dans une situation de récepteur à qui l’on inculquerait un savoir mais dans une situation de sujet actif qui construit lui-même son propre cheminement cognitif. Nous ne sommes pas dans un schéma de transmission du savoir mais dans un schéma d’acquisition de connaissance. Ce schéma d’acquisition de connaissance, ce projet didactique vise, comme on peut le lire à travers les discours des documentalistes, une autonomisation de l’élève .

Outre cette généralisation de compétences, il faut encore prévoir la logistique informatique dans les établissements, et c’est là un point très faible du maillon éducatif. Souvent les réseaux, quand ils existent, ne fonctionnent qu’avec la bonne volonté de quelques uns. La présence de personnels dûment formés et recrutés à ces tâches est une nécessité de plus en plus criante.

Ainsi, comment rester crédible quand on propose à l’élève une recherche en ligne, alors même qu’il ne parvient pas à se connecter ? Soit on conserve toutes ses ressources papier, et le risque de transformer le CDI en salle d’archives est au bout de la démarche, soit on parie que les moyens de liaison seront fiables, et qu’on ne travaillera plus qu’en ligne pour consulter toute la presse, tous les usuels, voire toutes les fictions, puisque les trois directions s’ouvrent rapidement devant nous. Mais nous ne sommes pas encore poussés à de telles extrémités :

De manière massive, les enseignants refusent la logique du « tout Internet » ; leur réflexion les porte à un usage mesuré et réfléchi. La place du livre et des documents écrits ne sera aucunement remise en cause, mais le développement des documents numériques obligera à un effort d’organisation.

Les professeurs-documentalistes ne seront pas dissous dans le web, et Internet n’est qu’un outil. En tant que structure spatiale, le CDI est un lieu spécifique. Il est idéalement conçu comme le "centre" de l’activité pédagogique et de l’établissement . Cela n’empêche pas des orientations qui nous alertent, quand telle directive rectorale entend dissocier les documentalistes des activités qui se déroulent dans les CDI . Là aussi, il est toujours à craindre un « ballon d’essai ».

Le CDI est un outil de travail, comme peut l’être un logiciel, un dictionnaire ou un clavier. Même si la ressource documentaire s’est répandue dans l’établissement via les connections informatiques, la seule vraie connection qui vaille, c’est celle que nous établissons avec les individus avec lesquels nous parlons.

RESSOURCES EN LIGNES

Alain Van Cuyck : Innovation pédagogique et CDI. Espace doc, février 1999, p. 5-18 http://savoirscdi.cndp.fr/metier/Bibliographie/ERSICO/Vcuyck1.htm

La fonction documentaire au cœur des TICE , L’Ingénierie Éducative, n° 49, décembre 2004 http://www.cndp.fr/lesScripts/bandeau/bandeau.asp ?bas=http://www.cndp.fr/DossiersIE/49/som49.asp

Jean-Louis Durpaire : Les politiques documentaires des établissements scolaires, rapport n° 2004-037, mai 2004 ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/syst/igen/rapports/politiques_documentaires.pdf

Bruno Devauchelle : Du système d’information à la gestion des connaissances : Quelles transformations pour le métier de documentaliste ?, Savoirs CDI, 10 juin 2004 http://savoirscdi.cndp.fr/metier/Metier/Devauchelle/Devauchelle.pdf

Marie-France Blanquet : Facteurs d’évolution et avenir de la profession d’enseignant documentaliste, Montpellier, conférence à la FADBEN du 17 janvier 2003 http://docsdocs.free.fr/article.php3 ?id_article=63

Anne-Marie Gioux : Pourquoi, comment apprendre à travailler en réseau(x) ? ; 3èmes rencontres Cdi-Doc, Bordeaux, 24-25 octobre 2005 http://savoirscdi.cndp.fr/rencontresbordeaux/AMgioux.pdf

Projet SCHENE : Faire émerger une demande de contenus, Educnet, ressources numériques, ftp://trf.education.gouv.fr/pub/educnet/chrgt/ressources/schene2/DOC_C&L.pdf

Comité de pilotage pour la Bibliothèque numérique européenne http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/conferen/donnedieu/bnue2006-actions.html

La bibliothèque numérique européenne : foire aux questions : http://europa.eu.int/rapid/pressReleasesAction.do ?reference=MEMO/06/102&format=HTML&aged=0&language=FR&guiLanguage=en Gérard Puimatto : Les fonctions documentaires dans le contexte numérique : http://savoirscdi.cndp.fr/CulturePro/actualisation/ENTintranet/Puimatto/puimatto.htm


Répondre à cet article

Forum